CHRISTINA KING TAALRUMIQ – ATELIER FOURRURE – INUVIK

Le 27 août 2022

Fourrure Canada

 

 

CHRISTINA KING TAALRUMIQ – ATELIER FOURRURE – INUVIK

Que se passe-t-il lorsque vous placez un maître fourreur grec dans une pièce remplie de femmes autochtones du Nord? De l’apprentissage, des rires, quelques niaiseries et une reconnaissance encore plus profonde de la fourrure.

 

En février 2022, NWT Arts a commandité un programme intensif de 6 jours sur la fourrure à Inuvik, dans les Territoires du Nord-Ouest, pour les artistes, créatrices et couturières autochtones qui travaillent principalement avec la fourrure, à l’aide du Ministère de l’Industrie, du Tourisme et de l’Investissement des Territoires du Nord-Ouest. J’ai eu la chance de participer à ce programme qui correspondait parfaitement à mon travail d’artiste et de créatrice de mode inuvialuk contemporaine. Beaucoup d’entre nous provenaient de communautés périphériques qui se sont rendues à Inuvik pour participer au programme, et d’autres ont dû prendre congé et quitter leur famille pour y assister; tel est notre dévouement à l’excellence et notre volonté d’apprendre d’un maître fourreur pour améliorer notre savoir-faire traditionnel et contemporain en matière de fourrure.

 

Le maître fourreur dont je parle n’est autre que Pangiotis Pangiotidis. Cet homme grec travaille dans le commerce européen de la fourrure depuis son plus jeune âge; il a appris des maîtres fourreurs avant de devenir lui-même un maître dans son métier. Il nous a dit qu’il n’y avait aucune célèbre femme fourreuse canadienne, et que nous n’avions pas de programmes de formation professionnelle à temps plein pour les fourreurs, ce qui est surprenant compte tenu du fait que le Canada d’aujourd’hui, comme beaucoup le savent, a été fondé sur le commerce des fourrures, et que nos fourrures sont les meilleures au monde. Panos, qui avait autrefois sa propre entreprise de fourrure florissante en Grèce, a décidé de déménager au Canada pour poursuivre des opportunités d’enseignement avec Fur Canada à Nanaimo, en Colombie-Britannique. Ici, il propose des séminaires intensifs sur la fabrication de fourrure.

 

Parmi les participantes, il y avait des Inuvialuit (Inuit), des Gwich’in (Déné) et des Métis, toutes autochtones des Territoires du Nord-Ouest, l’Arctique de l’ouest du Canada. Parmi celles d’entre nous qui ont eu la chance d’y assister, beaucoup ont un travail de jour et créent des vêtements et des accessoires en fourrure traditionnels pendant leur temps libre, en les vendant au sein de nos communautés et en ligne. Certaines d’entre nous possèdent leurs propres entreprises d’art et de création. Nous reconnaissons toutes la valeur de la fourrure, des peaux, du cuir et combien il est important et nécessaire dans un contexte culturel de créer et de faire ce que nous faisons. Certaines d’entre nous réapprennent ce que nos mères, grands-mères et arrière-grands-mères avaient appris de leurs mères et grands-mères, jusqu’à ce que le système des pensionnats du gouvernement canadien imposé par les missionnaires catholiques et anglicans perturbe notre mode de vie, causant des dommages irréversibles à notre peuple, notre culture, nos systèmes de transfert de connaissances, nos structures communautaires et familiales. Nous travaillons encore à guérir ces blessures aujourd’hui. Une partie de cette guérison consiste à réapprendre notre savoir-faire traditionnel en matière de couture, d’art et d’artisanat, en exploitant ce que nous avons conservé de nos connaissances traditionnelles et en incorporant des pratiques et des techniques contemporaines.

 

La valeur de la fourrure et ses utilisations pratiques sont donc très importantes pour de nombreuses raisons, la principale étant la survie dans les conditions difficiles de l’Arctique. Les peuples autochtones savaient que pour survivre, il était absolument nécessaire d’utiliser ce qui était disponible dans notre environnement naturel pour créer des vêtements fonctionnels, chauds, durables et biodégradables. La mode n’a jamais été la priorité; cependant, en regardant certaines des premières photos d’Inuvialuit et de Gwich’in, je vois la compétence et la fierté de leur travail, créant des vêtements fonctionnels qui étaient aussi incroyablement beaux, racontant une histoire d’appartenance, montrant le savoir-faire et l’amour des couturiers, ainsi que la capacité et la richesse du chasseur à fournir de belles fourrures. Il a été scientifiquement prouvé que nos spectaculaires capuchons Amaruq Sunburst en fourrure de loup arctique et en carcajou sont la meilleure conception pour détourner l’air froid de l’Arctique et garder votre visage au chaud dans des conditions de froid extrême, et leur efficacité est bien supérieure à toutes les fausses fourrures artificielles. Le carcajou est particulièrement apprécié, car il évite l’accumulation de glace condensée générée par votre souffle tout en vous isolant du froid. Contrairement à l’idée répandue du « matraquage de bébés phoques mignons » promue par les militants des droits des animaux, nous ne matraquons pas les bébés phoques à mort. Bien qu’il soit inévitable de tuer un animal pour utiliser sa fourrure, tout bon chasseur veille à ce que cela soit fait efficacement et rapidement afin que l’animal ne souffre pas inutilement. Nous comprenons, reconnaissons et respectons humblement qu’un animal donne sa vie pour la nôtre. Nous utilisons la plupart sinon toutes les parties de l’animal, et tout ce qui n’est pas utilisé est remis dans la terre et dans l’eau pour se décomposer et rendre les nutriments à la nature. Nous ne prenons pas plus que ce dont nous avons besoin, seulement ce qui est nécessaire pour la survie et la chasse de subsistance, créant ainsi un cycle durable, et non un cycle d’exploitation fini.

 

Ma grande naanak Taalrumiq (nom anglais Mary Gruben) a été l’une des premières Inuvialuit à épouser un commerçant de fourrures européen, un employé suisse allemand de la Baie d’Hudson nommé John Gruben. Elle et les Inuvialuit Arnait (femmes) de sa génération sont passées de la création de vêtements en fourrure et en peau selon les méthodes traditionnelles de nos ancêtres en utilisant des tendons et des aiguilles en os de caribou, à l’utilisation de matériaux disponibles grâce à l’avancée du commerce de la fourrure comme le coton, le polyester et le tissu de laine, le fil de nylon et les aiguilles métalliques. Elles ont incorporé des techniques et des styles plus modestes introduits par les religieuses, créant ainsi une nouvelle tradition : des vêtements longs, fluides et sobres à imprimé calicot et en duffle avec des bordures en fourrure, ainsi que des mukluks brodés en laine melton, par opposition aux parkas atigi traditionnels plus courts, ajustés et galbés, et aux mukluks en fourrure montant jusqu’aux genoux et aux cuisses avec des semelles de phoque ou de morse d’autrefois. Ma Jijuu (grand-mère gwich’in) était également connue pour ses talents de perleuse et de couturière. De nombreux styles, matériaux et valeurs vestimentaires traditionnels et contemporains sont entrelacés dans les deux cultures, car nous étions voisins, amis, ennemis et famille.

 

Me voici quelques générations plus tard, avec les mêmes connaissances, compétences et talents traditionnels dans ma mémoire de sang hérités de ma longue lignée matrilinéaire de femmes inuites, ma grand-mère Gwich’in et sa lignée. Ces compétences anciennes et ce talent naturel combinés à mes études contemporaines et à ma formation en coiffure, en mode, en beaux-arts et en éducation me permettent de créer des vêtements de luxe, des vêtements de couture inuvialuit, des accessoires, des parures, des œuvres d’art et une éducation culturelle sous ma propre marque de mode et entreprise, Taalrumiq. Taalrumiq est mon nom inuvialuit traditionnel que je dois à ma grande naanak, d’après la coutume des aînés locaux inuvialuit de ma communauté. Il m’a fallu toute ma vie pour accepter, revendiquer et aimer mon nom inuvialuit. Le gouvernement canadien nous a déshumanisés, en remplaçant nos noms inuits par des lettres et des chiffres sur des disques de cuir portés autour de notre cou comme des plaques d’identité, en plus de se voir attribuer des noms anglais et des dates de naissance aléatoires. Le nom de ma mère était « W.3-1241 ». W pour l’ouest de l’Arctique, la zone 3 et la 1241e personne Inuvialuk à être enregistrée. Malgré cela, de nombreux Inuvialuit ont à la fois des noms anglais et traditionnels, et bien que nos noms traditionnels ne figurent ni sur les documents gouvernementaux, ni sur nos pièces d’identité « officielles », il s’agit tout de même de noms légitimes et vrais qui ont un sens, reconnaissent notre lignée ancestrale et renforcent notre identité autochtone. Il est important de se souvenir de cette partie de notre histoire, non seulement pour nous, mais pour tous les Canadiens. C’est en partie pourquoi ma marque s’appelle Taalrumiq. On dit également que l’on adopte les traits de personnalité et les caractéristiques de notre atiq (homonyme), et après avoir touché et vu certaines des coutures traditionnelles de peau et de fourrure de mon atiq ainsi que ses préférences pour les couleurs vives et audacieuses, je crois que c’est vrai!

 

Lorsque nous travaillons avec de la fourrure, le parfum, la sensation, le traitement et les produits finis génèrent un sentiment de nostalgie, de fierté, de satisfaction et d’amour. Nous sommes nostalgiques, car beaucoup d’entre nous se souviennent des séances de couture avec nos mères, grands-mères, aînées et autres femmes de notre communauté. Nous éprouvons de la fierté et de la satisfaction lorsque nous admirons un beau produit fabriqué par nos propres mains, avec ses entailles d’aiguille et ses marques dues au plissage de la fourrure et de la peau et à la tension du fil. Nous éprouvons de l’amour parce que dans notre culture, coudre pour quelqu’un, c’est montrer qu’on l’aime. Vous voulez que vos êtres aimés aient bien chaud et soient à l’aise dans leurs vêtements, leurs mitaines, leurs mukluks et leurs chapeaux traditionnels faits sur mesure. Le port de vêtements traditionnels vous rend plus grand et plus fier. Nous avons tous un vêtement ou accessoire traditionnel fabriqué spécialement pour nous par un être cher, conçu pour être confortable et chaud, littéralement enveloppé d’amour. C’est dans ce même esprit que nous cousons aujourd’hui.

 

Alors que Panos nous a partagé ses connaissances et les techniques de l’industrie, nous lui avons partagé nos connaissances traditionnelles, nos expériences culturelles de la vie dans l’Arctique, et bien sûr, quelques niaiseries. Qui aime bien châtie bien! Nous avons essayé de convaincre Panos de déménager vers le nord (Venez à Inuvik! Votre femme et vos filles vont adorer!), car nous apprécions et respectons sa volonté de partager son expertise. En tant que groupe, nous avons eu du mal à croire que Panos évitait d’utiliser la colonne vertébrale de castor, alors que nous la considérons comme une partie précieuse de l’animal, notamment pour la garniture de mocassins ou de mitaines, en raison de sa capacité à résister à l’usure!

 

Au fil de la semaine, nous avons appris qu’il n’y avait pas de célèbre fourreuse dans l’industrie canadienne, alors que nous connaissons toutes des femmes dans nos communautés qui chassent, piègent et transforment leurs propres fourrures, en plus d’être d’excellentes couturières. En fait, l’une des participantes au programme n’était autre qu’Eleanor Elias, une trappeuse, chasseresse et couturière experte bien connue et respectée. Eleanor est un modèle que nous admirons toutes et qui a fait des choses incroyables pendant son séjour sur Terre. Panos nous a également dit que les fourrures canadiennes sont les meilleures au monde. Nous sommes d’accord sur ce point, car nous savons par expérience que nos fourrures de haute qualité ont permis à nos ancêtres de survivre, ont aidé les visiteurs de nos terres à survivre, et ont mené au commerce des fourrures sur lequel le Canada a été bâti.

 

Alors, que nous réserve l’avenir? Face au déclin actuel de l’industrie de la fourrure en raison de facteurs tels que l’activisme pour la défense des animaux contre la fourrure, à la baisse de la demande de produits en fourrure et aux lois qui empêchent l’exportation de certains types de fourrure, quel est l’avenir de l’industrie de la fourrure? En tant qu’Autochtones, nous sommes dans une position unique pour participer, soutenir, éduquer, promouvoir et bénéficier économiquement de la fourrure et de l’industrie de la fourrure. À quoi cela peut-il ressembler? Peut-être pouvons-nous investir dans un programme de formation professionnelle de fourreur au Canada? Proposer des ententes et des partenariats avec divers groupes autochtones pour créer des coopératives de fourrure et offrir des programmes contemporains de fabrication de vêtements en fourrure? Supprimer les restrictions sur le commerce international des fourrures? Et si les militants des droits des animaux venaient à Tuktuuyaqtuuq l’hiver, par -50 °C (-58 °F), avec un refroidissement éolien extrême, afin d’apprécier la valeur et la nécessité de la fourrure et cesser de vilipender les fournisseurs et les consommateurs de fourrure?

 

Bien que je ne connaisse pas l’avenir de l’industrie mondiale de la fourrure, je comprends l’importance de la fourrure pour notre peuple et nos communautés. J’ai passé beaucoup de temps à créer du contenu numérique convaincant dans des vidéos de format court pour éduquer et démontrer l’aspect pratique de la fourrure dans des situations réelles et son importance dans ma culture. Je sais que les Inuvialuit, les Gwich’in et d’autres peuples autochtones utilisent et dépendent de la fourrure et des produits en fourrure depuis des temps immémoriaux. Nous continuerons à le faire afin de pratiquer notre culture, nos traditions et par nécessité absolue. Nous sommes également un peuple moderne qui a le droit de participer à l’économie mondiale et d’offrir une variété de produits de fourrure et de vêtements contemporains.

 

En tant que consommateur, vous pouvez soutenir l’industrie de la fourrure en achetant des produits en fourrure fabriqués et conçus par des Autochtones, en suivant les médias sociaux de Fourrure Canada et le blogue trueaboutfur.com pour en savoir plus sur l’industrie et les normes de la fourrure. Suivez et apprenez de divers artistes, créateurs et nations autochtones, dont beaucoup sont accessibles sur diverses plateformes de médias sociaux. Lorsque vous achetez des vêtements et des accessoires en fourrure, vous achetez des pièces durables et de haute qualité qui dureront pendant des générations. Ce sont des pièces en fourrure durables, biodégradables, chaudes, luxueuses et bien meilleures pour l’environnement que la fausse fourrure. Portez fièrement vos fourrures!

 

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Article original :

https://www.furcanada.com/christina-king-taalrumiq-fur-workshop-inuvik/