Mode autochtone: deux créatrices canadiennes nous parlent de leurs créations

Elles sont toutes deux originaires du Grand Nord canadien et comme le veut la tradition nordique, c’est leurs mères qui leur ont appris à coudre de main de maître la fourrure de phoque. Fières de leurs racines, les vêtements et accessoires de mode qu’elles en tirent s’inspirent des traditions inuites tout en étant empreints d’une indéniable modernité. Découvrez-en davantage sur les designers May Ningeongan, du Nunavut, et Erica Lugt, des Territoires du Nord-Ouest, quant à leurs inspirations, leurs démarches artistiques et leurs processus créatifs singuliers.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de devenir designers de mode?

« Je sentais que je devais faire ma part pour braquer davantage les projecteurs sur la culture innue, en voie d’extinction, confie May Ningeongan, qui pilote la marque Ujaraatsiaq’s Garments. Les célèbres tatouages innus avaient tellement été utilisés de façon galvaudée par le passé… Encouragée par ma mère et par celle qui m’a enseigné l’anglais à l’école, poursuit May, je me suis donné pour mission – à travers mes créations – de changer la vision de l’art innu de façon positive, pour ne pas que ma culture finisse par totalement disparaître. »

May Ningeongan – Ujaraatsiaq’s Garments

De son côté, Erica Lugt, créatrice de la griffe She Was a Free Spirit, avoue que la mode a toujours fait partie de ses passions. « J’ai grandi dans une communauté isolée. J’étais très artistique: je dessinais les robes que j’apercevais sur les tapis rouges des galas, se souvient-elle. J’investissais même tout mon argent de poche dans l’achat de magazines et tabloïds, pour m’inspirer et tapisser les murs de ma chambre de belles tenues. Je me vois comme une designer colorée et enjouée: mes créations donnent du pep, de l’élan et du style à celles qui les portent! »

Erica Lugt – She Was a Free Spirit

Pourriez-vous nous décrire votre travail, dans vos propres mots?

« Les bijoux She Was a Free Spirit sont osés, éclectiques et pimpants, explique Erica Lugt. Ce sont des pièces uniques hautes en couleurs, bien pensées et de grande qualité. » Pour sa part, May Ningeongan aime à dire que ses parkas sont cousues de bons sentiments. « C’est ma mère, Elizabeth, qui m’a enseigné la couture traditionnelle inuite, étape par étape, explique May. Elle m’a montré l’utilité de chaque geste et m’a appris à m’exécuter patiemment, en y mettant tout mon cœur. Mes vestes sont cousues avec passion, dévotion et attention: elles sont uniques en leur genre et empreintes de beaucoup d’amour. »

Parka en fourrure de phoque fabriqué avec amour par May Ningeongan pour l’influenceuse @marikasila

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans la couture de la fourrure et du cuir de phoque?

« De prime abord, convient May Ningeongan, ce n’est pas une matière facile à coudre. Il faut connaître les bons procédés. Mais sitôt qu’on maîtrise la technique, on parvient à sublimer la peau de phoque. Ce type de fourrure et de cuir donne une allure traditionnelle et apporte une dose massive de chaleur, d’élégance et de beauté aux parkas que ma mère et moi cousons. Chaque jour, cette matière me rattache à mes ancêtres et c’est pour cela que je l’aime tant. C’est sentimental », ajoute May. Erica Donovan adore aussi cette matière. « Le côté tactile de la fourrure et du cuir de phoque rend sa couture excitante, presque sexy même, raconte-t-elle. En les travaillant pour créer mes bijoux, j’ai l’impression d’honorer les anciens tout en ajoutant, au passage, une petite pincée de ma personnalité. »

Où puisez-vous votre inspiration et comment élaborez-vous vos collections?

« Quand j’enfile des perles, je crée des motifs inspirés du ciel arctique – le plus beau et vibrant qui soit – ou des lisérés qu’on retrouve sur les parkas de danse traditionnelle inuite. J’essaie de transposer ces beautés dans chacun de mes bijoux », précise la joaillière Erica Lugt, de la griffe She Was a Free Spirit.

Quant à May Ningeongan, elle confie que les vêtements d’Ujaraatsiaq’s Garments sont directement inspirées par sa clientèle. « En prêtant attention aux commentaires des consommateurs, je crée des pièces susceptibles de leur plaire, explique-t-elle. Ça répond à leurs besoins et envies, ça aide à valoriser mon travail et ça me donne confiance. »

Comment réussissez-vous à combiner savoir-faire ancestral et modernité?

La griffe Ujaraatsiaq’s Garments est l’œuvre d’un duo familial. « Dans l’entreprise, note May Ningeongan, ma mère est la gardienne des traditions inuites. Moi, je vois à ce que nos parkas soient contemporaines en soignant mille et un détails. Ainsi, on atteint un équilibre parfait! » Fière de sa culture innue, Erica Lugt aime lui faire honneur de différentes manières. « J’utilise de la peau de phoque, une matière naturelle durable, explique-t-elle. Dans mes bijoux, j’incorpore çà et là des détails noirs et blancs, comme ceux qu’on retrouve sur les parkas de danse. Je le fais à ma façon et c’est en honorant mes origines que je contribue à perpétuer les traditions en toute modernité ».

Design en noir et blanc utilisé sur des parkas portés lors de la dance du tambour. Erica s’inspire de ces designs pour créer ses boucles d’oreilles uniques en peau de phoque

Croyez-vous que l’art autochtone s’est transformé au fil des années, et de quelle manière?

« C’est indéniable, analyse la designer de la griffe She Was a Free Spirit, Erica Lugt. Juste dans les dernières années, une pléiade de nouveaux artistes a émergé. Ils brisent les carcans et réussissent à créer des items mode hyper luxueux, qu’il s’agisse de vêtements ou d’accessoires. C’est une période très bouillonnante pour la culture et l’art autochtone, et j’adore ça », explique Erica. « D’année en année, l’art inuit évolue, note pour sa part May Ningeongan, de la griffe Ujaraatsiaq’s Garments. Créateurs et couturiers réinterprètent à leur façon les traditions, en ne cessant jamais de s’inspirer de la nature et de valoriser l’environnement arctique. Nos communautés d’artistes sont belles: elles ne sont jamais à court de créativité », estime May.

Quels rêves chérissez-vous quant à l’avenir de vos marques de mode respectives?

May Ningeongan rêve d’un atelier-boutique Ujaraatsiaq’s Garments, qui lui permettrait de produire ses vêtements tout en recevant des clients. « En ce moment, nous cousons dans une toute petite pièce de la demeure familiale, explique-t-elle. J’aimerais que ma mère ait plus d’espace pour déployer ses ailes et peaufiner son art. Je tiens à elle et je veux en prendre soin: c’est plus qu’une associée, c’est ma meilleure amie, ma mentore, ma coach de vie! ».

Erica Lugt est, pour sa part, une fan inconditionnelle de Jennifer Lopez. « Je pourrai dire que j’ai réussi quand je la verrai porter une paires de boucles d’oreilles She Was a Free Spirit, rigole-t-elle! Même chose pour ma tante Maureen Gruben, une incroyable artiste. Depuis ma tendre enfance, elle m’encourage à créer et à voir grand. Si elle avait un réel coup de cœur pour une de mes créations, avoue Erica, j’aurais l’impression d’avoir accompli quelque chose de grand. »

Les designers indigènes sont des artistes de cœur, animées par une réelle quête de sens. La mode qu’elles créent témoigne de leurs origines, de leur vie et des rêves qu’elles chérissent pour les leurs. « Quand on a vécu des épisodes traumatisants, l’art transforme notre obscurité en lumière, analyse Erica Lugt. Ça réintroduit l’espoir et la beauté dans nos vies, en favorisant le pardon. Créer, c’est en quelque sorte construire un monde meilleur. Artisanats et créations fièrement autochtones se veut une vitrine pour quantité d’artistes autochtones canadiennes, dont le talent est proportionnel à l’amour infini qu’elles vouent à la nature et à leur peuple. Découvrez-les sans plus tarder: vous tomberez sous le charme.